L’ÉNIGME DE WO : PORTRAITS AU VITRIOL DU PSEUDO-DIVIN — SUR « LA CARICATURE DE DIEU » DE MÉRYL PINQUE

L’ÉNIGME DE WO — SUR « LA CARICATURE DE DIEU » DE MÉRYL PINQUE

« Nul n’est libre qui perpétue la guerre, et c’est justement
ce qu’elle ne veut pas être : une esclave du mal. »
In Mille et une nuit, p.145
La caricature de Dieu   C’est par une huile d’Edward Hopper, New-York Movie (1939) que l’on entre de prime abord en contact avec le recueil de nouvelles de Méryl Pinque, La Caricature de Dieu aux éditions du Rocher. Ce choix illustratif est judicieux. Cette femme, là, dans le couloir attenant à la salle de cinéma où les spectateurs sont tout entiers absorbés par la contemplation du monde fictionnel se déroulant à l’écran, ce pourrait bien être en effet l’auteure elle-même, pensive, introspective à sa façon mais en puissante réflexion non sur elle-même mais sur le monde, le vrai, a contrario des gens qui lui tournent le dos et font acte d’oubli, de déni, face au spectacle du monde déliquescent au-dehors, y préférant son double cinématographique pour ne pas avoir à en être véritablement les acteurs de la kiné. Si Baudelaire avait eu son mot à en dire, il n’aurait pas hésité un seul instant, et nous aurait dit que Méryl Pinque, dans ses récits, nous donne à voir la décadence pure.
   Car c’est bien un monde en décrépitude qui chaque fois passe sous la verve — prose poétique parfois — de Méryl Pinque dont la langue exquise, exacte, traque dans ses nouvelles la perfectibilité de l’Homme, cet animale rationale dont on se demande plutôt s’il n’est pas fou tout simplement, et dont la folie consiste à bâtir toutes sortes de mythes psychologiques pour prétexter qu’il ne l’est pas et se dédouaner de ses travers et du mal qu’il se fait en détruisant son monde. Un monde dont le réel lui échappe tellement qu’il ne comprend pas que lorsqu’il le détruit, en détruit les vies — individuelles ou espèces toujours à jamais —, il le fait vraiment et que ça n’est pas « pour de faux », que c’est irrémédiable… le diable parlons-en. Il ouvre la séance et commet une énorme boulette avec l’assentiment de Dieu qui, comme l’Homme, chaque fois qu’il se trompe ne peut pas tout effacer et recommencer. C’est que ces deux-là pensaient bien faire en faisant une caricature de Dieu, un animal pas comme les autres, histoire de rire. Hélas, ils n’ont plus qu’à s’en mordre les doigts.
   Ainsi Pinque, dans son travail d’écriture, œuvre-t-elle à démonter tous les mécanismes de la prétendue supériorité de l’Homme. Elle en dresse des portraits au V.I.T.R.I.O.L. telle une alchimiste ou plutôt anté-alchimiste démontant par ses formules perspicaces et sans concessions l’or soi-disant (la qualité divine de l’être humain) pour en faire remonter la quintessence réelle : un plomb d’une lourdeur et d’une dangerosité effarantes. Le vitriol en effet, n’est pas que l’acide qui sert à défigurer la jeune Shahrazad, mariée de force, parce qu’elle ne peut enfanter, et elle va en mourir, c’est aussi cette méthode scripturale dont se sert l’auteure avec une grande sensibilité quand elle « visite l’intérieur de la Terre ; en rectifiant [trouve] la pierre cachée », avec ce fol et bel espoir, non, de l’espérance, qu’on puisse encore changer les choses, sauver les corps et les âmes sacrifiés sur l’autel de la concupiscence, de l’orgueil, des croyances et des faux-semblants économico-religieux. Foin de tradition qui ne tienne face à la mort célébrée sans mot dire, à l’injustice qui tue les innocents hommes et bêtes. Il y a toujours un parallèle fait entre le sort tragique des protagonistes et celui des animaux que l’on extermine pour toutes sortes de raisons déraisonnables, irrationnelles. Méryl Pinque, en témoin lucide et éclairée, en fait la démonstration, prête sa voix aux sans voix, les exclus des suffrages, les exclus du système, les exclus de la vie.

Photomontage Caricature de Dieu

   Avec Méryl Pinque, on part à travers le monde et le temps, dans une espèce de road-movie dramatique où peu échappent au sort absurde qu’ils se sont scellé. Il faut venir lire l’histoire de ce magna qui fait tout le contraire de ce qu’il a vraiment été, juste pour la gloire, l’argent, le pouvoir, renie son fils Shawn hippie surfer et vegan, et abandonne sa femme à la prophétie morbide de la rose. La plume de Pinque est juste, acerbe, et parle pour un réenchantement du monde, un peu à la façon de Joyce Carol Oates. Dévoile la facticité, l’inanité des conduites humaines.
   Et auprès d’elle Pinque convoque Thoreau, Marc Twain, Jack London, Baudelaire, Coleridge, Fitzgerald et la Beat Generation pour nous secouer, qu’on sorte de notre torpeur, nous « braves gens », à l’instar d’une Flannery O’Connor,  qui vivons et laissons mourir, nous qui ainsi si nous continuons sommes sûrs de finir par régner sur « un vaste charnier » où notre humanité « pourra enfin s’épanouir, telle une fleur de fumier. »
   Il y a quelque chose de punk dans les écrits de Méryl Pinque. Un velours des sous-sols, celle de la raison et du cœur purs, au sens du véganarchisme qui s’exprime par ses mots, avec cette ferme volonté de se montrer intransigeante avec toutes les formes de dominations abjectes, sur les êtres, entre eux et par eux, sur les femmes, sur les animaux. Un arrière-goût amer d’une absinthe romantique et rock n’roll qui cherche son chemin étoilée vers le Paradis — le vrai, celui dont le monde nous a fait offrande et qu’il nous appartient, en ayant l’usufruit, de conserver dans son plus bel, son plus pluriel état, comme il nous fut donné au premier jour où nous ouvrîmes les yeux : un état de Nature où nous pouvons avoir notre place sans forcément saccager l’espace vital d’autrui. C’est le spleen de Malagan au bord du gouffre solaire, c’est l’idiotie congénitale de Willard, l’intelligence de Shahrazad, la clairvoyance d’Aurèle encore — le double masculin pinquien, — ; c’est enfin, la pacifique curiosité des gens venus d’ailleurs, dans longtemps, découvrant avec circonspection les décombres enfouis d’une civilisation dévastatrice ayant été. Il y a du Clifford D. Simak chez ces êtres, ces chiens de demain…
   L’Art n’est pas épargné qui sous couvert de faire du neuf et du sensationnel use de sordides provocations imbéciles, meurtrières, quand l’actionnisme viennois (Hermann Nitsch, Rudolf Schwarzkogler, Otto Muehl ?) proposait aux foules insatisfaites de jouir de la violence gratuite et de la mort — facultative mais possible — d’animaux vulnérables, sous l’œil impavide d’une Gina Pane et de la mortification de sa propre chair en dialogue avec Saint-François d’Assise dont on se demande alors comment il se fait que ce soit elle qui y préside — fictionnellement […] (?).
   Dire pour finir, que l’œuvre de la nouvelliste, il nous semble que c’est une somme nietzschéenne, un appel à devenir « hors de contrôle » en prenant le parti de l’amor fati et de la Vie. Méryl Pinque boit la ciguë de la tragique histoire humaine non sans lancer un appel renouvelé au gnoti seauton de Socrate : il faut se connaître soi-même, donc : naître à soi-même et aux autres, tous les autres du monde, en agissant en conscience et avec la bienveillance qui souvent manque dans nos relations au monde.
   Pourvu que, l’échéance venue, ce soit celle d’une réelle émancipation pleinement libératrice plutôt que l’inverse, pour qu’heureux et quittant ce monde, l’Homme ravive à Martin Eden son ultime pensée qu’« au moment où il le su, il cessa de le savoir ».
*
   Nous recommandons chaudement la lecture de ce recueil d’une féministe végane et abolitionniste qui aime profondément les vivants et la liberté, et la littérature, auxquels elle rend magnifiquement hommage dans ce vibrant ouvrage.
   Trouverez-vous, vous, pourquoi :

W

O

(K&)M

 

Question : — qu’était l’O.M. théâtre ?

2 réflexions sur “L’ÉNIGME DE WO : PORTRAITS AU VITRIOL DU PSEUDO-DIVIN — SUR « LA CARICATURE DE DIEU » DE MÉRYL PINQUE

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