LE DIFFICILE COMBAT DU SIMPLE BON SENS — SUR L’« INTRODUCTION AUX DROITS DES ANIMAUX » DE GARY FRANCIONE — PERSPECTIVE(S) À SUIVRE

SUR L’« INTRODUCTION AUX DROITS DES ANIMAUX » DE GARY FRANCIONE — PERSPECTIVE(S) À SUIVRE
L'éthique animale   Comme on peut le lire dans le livre L’éthique animale de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, l’éthique animale est une notion remontant au XIXème siècle et qui a pris la signification qu’elle revêt aujourd’hui durant le XXème. Un moment celle-ci put autant vouloir évoquer le comportement des animaux entre eux, que celui des humains à leur égard. Finalement aujourd’hui, cette éthique très au cœur de l’éthique de manière plus globale, correspond à la question de fond des droits des animaux. Il ne s’agit par exemple plus d’accorder une quelconque condescendance envers les animaux. Comme l’écrivit Jacques Derrida, nous rappelle Jeangène Vilmer[1], cet « [L’]Animal » dont « on » parle, n’existe pas en face des hommes et chaque fois alors « on » « dit une bêtise ».
   Nous aimerions dans ce texte, avant que de vous parler du travail de Gary L. Francione, ouvrir la réflexion avec cette pensée :
introduction aux droits des animaux   Il semble qu’au sujet des droits des animaux, certains ont la crainte qu’elle ne soit un marchepied à une nouvelle forme d’eugénisme — donner des droits aux animaux dévaloriserait certaines catégories d’êtres humains (handicapés, séniles, amnésiques, etc.). C’est, nous paraît-il, réintroduire au sein de la communauté humaine des distinctions qui vont au-delà de la discrimination seule et mènent à nouveau au  ségrégationnisme via le spécisme. Bien au contraire, c’est en vertu qu’il y a des êtres à protéger qu’on peut rapprocher les animaux de certains humains incapables d’établir les règles (lois) de leur protection avec et au sein de la société. Alors bien entendu, nous ne formons pas tout à fait société avec les animaux…, sauf qu’en réalité si, il suffit de regarder les actions et interactions des animaux et des insectes dans nos villes ou nos campagnes pour voir qu’ils participent à équilibrer  l’écosystème. D’un point de vue holistique nous avons intérêt à prendre soin des intérêts des animaux dans leur (bio)diversité. Si ces « ensembles vivants » nous peuvent fournir du bien, les conserver tels quels revient à en protéger les individus. Et dans l’éthique animale et les droits qu’elle présuppose — ou desquelles elle découle — la notion d’individualité est prépondérante quant à la souffrance qui peut être infligée à un animal dont on a l’utilisation. Sur la question d’un eugénisme libéral, Jürgen Habermas note que certains pensent qu’il y a un « véritable commencement d’un processus évolutif qui non seulement s’auto-régule mais encore est déjà individué. […] tout ce qui peut être biologiquement défini comme spécimen humain doit être regardé comme une personne potentielle […]. » (p.51 in L’avenir de la nature humaine). En ce cas, dès lors qu’on s’est débarrassé des apriori et des oripeaux des préjugés anthropocentristes dévaluant les animaux en général et en particulier dans leur « usage », il apparaît cette chose flagrante que mentionne Habermas dans son livre sur l’eugénisme : « La communauté des êtres moraux qui se donnent à eux-mêmes leurs lois se rapporte, dans la langue des droits et des devoirs, à toutes les relations qui requièrent d’être réglées normativement ; toutefois, il n’y a que les membres de cette communauté qui puissent s’imposer mutuellement des obligations morales et attendre les uns des autres un comportement conforme à une norme. Il revient aux animaux de bénéficier des devoirs moraux que nous nous devons d’observer dans nos rapports à toutes les créatures sensibles à la souffrance, par seul égard pour elles. » (in op. cit. p.55).
   C’est de cet égard dont nous allons parler, qui est le sujet dont discute habilement Gary Francione dans son essai écrit aux Etats-Unis en 2000.

   Le livre, traduit en français par Laure Gall pour l’excellente Collection V de L’Âge d’homme, débute sur une sympathique et à la fois curieuse préface d’Alan Watson. En effet, si celui-ci remarque avec justesse que toute notre société est fondée sur la complaisance (donc un mépris) des gens de couleur, des femmes, des homosexuels, et des animaux (p.11), dont on a beaucoup de mal à se débarrasser, et que de surcroît pour abolir l’esclavage par exemple il ne s’est pas agi d’un consensus mais d’un conflit sanglant (guerre de sécession) (p.12), il nous faut désormais sérieusement réfléchir et agir en conséquence de l’idée d’égale considération, laquelle prend ses racines dans la théorie éthique du soin (care) née de la mouvance de l’éco-féminisme (p.14). L’abolition en question comme résultat de la mise en place des droits des animaux stipule l’arrêt pur et simple de l’exploitation des animaux basée sur son rejet absolu. Jusqu’ici c’est bien formulé, jusqu’à ce que Watson face cet étrange aveu de dire qu’il ne chassera plus (il a été un fervent chasseur) mais qu’il mange encore de la viande et qu’il ne sait pas pourquoi. On s’attend effectivement qu’une personne franchement versée dans la question, bien instruite, franchisse le pas. Au lieu de cela, A. Watson dit se sentir comme un esclavagiste de 1850 qui serait d’accord pour « mieux traiter » ses esclaves sans toutefois imaginer leur rendre la liberté. On voit combien Gary Francione est patient et tolérant, qui a demandé à Watson d’écrire cette préface. Nul n’est parfait dira-t-on, mais ça n’empêche pas — plus : cela montre la nécessité, de statuer juridiquement sur les droits des animaux au vu de la fragilité (instabilité) de la nature humaine à accorder parfois ses actes à ses convictions. Francione nomme cela la « schizophrénie morale ».
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gary_with_puppies   Dans son introduction Francione nous dit beaucoup de ce qui va suivre dans l’essai. On y apprend que seulement 14% des Européens sont favorables à l’utilisation du génie génétique qui entraîne de la souffrance animale (même pour sauver des humains) […][2], cela est peu et pour autant ne change rien. En démocratie représentative notre voix ne compte qu’une fois manifestement, au moment du vote. Il n’en demeure pas moins que, comme les gens sont capables de dire aimer les animaux et dans l’heure qui suit aller en manger, c’est que nous sommes atteints de « schizophrénie morale » (p.26). Pendant ce temps, chaque jour, ce sont des centaines de millions d’animaux qui souffrent, meurent, essentiellement pour notre alimentation. Il est moralement et juridiquement condamnable, nous dit G. L. Francione « de faire souffrir les animaux pour notre simple divertissement ou plaisir. » (p.29) tandis que, et c’est là la folie de la chose « […] l’écrasante majorité de nos utilisations des animaux ne sont justifiées que par l’habitude, le divertissement, la praticité ou le plaisir. »
   Toute la problématique qui empêche d’avancer sur la question de la cause animale, et par conséquent de porter véritablement assistance aux animaux, de manière durable, c’est qu’ils sont des objets de propriété. Tant que nous les considérerons comme des choses comment pourrons-nous dans le même temps appliquer à leur endroit des droits qui prennent en compte leur qualité d’êtres sensibles et conscients : sentients ? Le juriste (professeur de Droit) Francione le formule ainsi : Le statut de biens des animaux retire tout sens à la mise en balance des intérêts qu’exigent le principe de traitement aussi humain et les lois de protection animale […][3], ce qui amène à évoquer de nouveau le welfarisme.
chatlabo   Robert Dantzer, dans sa traduction de 1983 du livre de Marian Stamp Dawkins (1980) avait employé une formule plutôt éloquente pour parler du « bien-être » animal. En introduction il écrivait : « Le défi qui nous est posé — améliorer le mode de vie de l’animal et son confort dans la limite des contraintes de la production — est donc à notre portée, si nous acceptons d’y faire face non avec des idées préconçues et partiales mais avec lucidité et objectivité. » Confortdans la limite des contraintes de la production… on voit tout de suite ce qui ne va pas. L’antinomie dans les termes est très bien choisie pour dénoncer la dichotomie entre le fait de « vouloir faire du bien » dans un mal. Déjà alors on éprouvait la difficulté rencontrée par Alan Watson qui ne parvient pas à cesser de manger de la viande et s’interroge à cause de quoi. Rappelons que dans les années 80 — vingt ans avant l’introduction aux droits des animaux de Gary Francione — Dawkins signalait que l’élevage intensif compense la baisse de productivité individuelle et nous expliquait qu’il existait d’ores et déjà une « mortalité tolérée » conjuguée dans la recherche de profit au « moins de main d’œuvre possible. » Dans ces aires concentrationnaires extrêmes, pas étonnant alors et ce dans la logique économico-productiviste que « l’intensification des élevages diminue l’importance des individus. » Là est toute la contradiction et l’inanité du système où d’un côté des exploiteurs sont dénoncés par certains qui pour autant ne veulent pas vraiment changer le système, autrement dit en finir avec l’exploitation animale. On nage en pleine dissonance cognitive, celle de l’image d’Épinal où l’individu animal vit heureux en attendant le trépas imposé. Pour nous, dans une optique d’être clair en conscience, il faut dénoncer l’option du welfarisme, ce « bien-être » qui ne fait rien pour que les animaux ne soient plus des « êtres-biens », des propriétés, des êtres réifiés, des biens de consommation comme n’importe quelle marchandise inanimée. Dans la visée abolitionniste de G. Francione entre en ligne de compte le principe d’égale considération[4], ce qui est de la logique pure. Ainsi, si ce qui vit témoigne de l’envie de fuir une situation potentiellement mortelle, mettons un incendie de forêt, il faut en conclure l’intérêt à vivre, à continuer à vivre, que manifeste l’animal fuyant. Face à un danger, une douleur physique ou psychique, les animaux y compris les insectes fuient. abattage-topC’est la différence majeure d’avec les végétaux. Eux prennent racine et tirent parti autrement de l’environnement. Mais les êtres vivants pourvus de locomotion expriment très clairement dans leur physionomie préférer se déplacer pour que perdure leur existence. Francione allègue alors que si nous pensons ce que nous disons et considérons que les animaux ont des intérêts moraux significatifs : alors il n’y a pas d’autre option : nous soutenons par là même l’abolition de l’exploitation animale et non sa simple réglementation[5]. De la même manière qu’on a cessé l’esclavage et mis fin (dans les lois) au racisme ou au sexisme, on ne peut se satisfaire du pis-aller d’un « mieux-faire » spécieux, mais nous devons exiger — et agir en conséquence — la fin totale et non réversible de toutes les formes d’exploitations animales. Qu’on se rappelle Pour une révolution végane*Méryl Pinque nous montre la relation entre le sexisme et le spécisme sous la coupe du patriarcat, le paternaliste du mâle humain depuis la Renaissance à nos jours. Elle a raison. Tout ceci participe de la même dénégation virtuellement virile et absconse. Le féminisme, et l’éco-féminisme, sont bien à la base de l’éthique animale moderne. Cependant, on peut écouter ce que Jeangène Vilmer indique quant au fait que les éco-féministes virulentes refusent la notion de droits des animaux à cause du lien entre paternalisme et juridique. Pourtant, sans ce garde-fou, ce rempart, ce mur comme dit Francione, dressé autour de l’individu (être humain ou non humain) pour le protéger, tout peut arriver.
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   Il faut bien reconnaître qu’en droit on ne saurait avoir recours au débat d’opinions. Par exemple, il est reconnu par la plupart d’entre nous que l’holocauste fut quelque chose de totalement immoral, et cela ne ressort pas de l’opinion mais de la morale (cf. p.45).
renards_visons_quebec2   Quoi qu’en ait pensé Descartes en son temps, et même Bentham malgré qu’il introduit brillamment l’idée de l’utilitarisme et de la sensibilité animale (« peuvent-ils souffrir ? »), la recherche a désormais clairement établi que les similarités neurologiques et physiologiques entre les humains et les animaux font de la sentience un fait incontestable[6]. Si une observation un tant soit peu  attentionnée ne suffit pas pour établir la ressemblance entre eux et nous on peut toujours à présent prendre en considération les nombreuses connaissances éthologiques ou plus générales nous renseignant sur la condition animale, physiologiquement s’entend. C’est ce que nous remarquions tout à l’heure au sujet de la fuite. Le déplacement même est un marqueur évident d’une motivation (étymologie proche de mouvement) cherchant le plaisir (trouver à manger) ou à échapper à la douleur (à un prédateur qui vous mord). « Les êtres sentients utilisent la douleur comme un moyen de tendre vers la survie. » (p.58).
   Décidément, même quand on est déjà bien renseigné quant à la cause animale et aux affres (le mot paraît encore faible) des animaux utilisés par les hommes, il y a toujours à en apprendre. Ici l’auteur, qui argumente beaucoup avec des informations relatives à son pays les Etats-Unis, nous dit que l’élevage intensif trouve dans l’Agriculture Dictionary (le dictionnaire américain de l’agriculture) la définition suivante :
   « […] type d’élevage opéré généralement à grande échelle selon les standards modernes d’efficacité commerciale, visant uniquement le profit, à la différence des élevages dits familiaux, ou à taille humaine. »[7]
panbanisha-swan-pic   Probablement le grand public, ignorant des pratiques réelles de l’élevage à l’abattoir, ne se dit pas que les animaux dans de telles conditions développent des maladies graves extrêmement répandues dans ces milieux infernaux. Voilà pourquoi les médias commencent de montrer — même si la finalité du propos est la santé humaine — qu’on gave littéralement de médicaments (antibiotiques, etc.) les animaux, y compris quand ils n’ont rien. Malgré tout, nous informe Francione p.64 : « […] plus de 80% des cochons souffrent de pneumonie au moment de l’abattage. » Les fermes-usines des mammifères dont se délectent les humains après en avoir acheté d’aseptisés morceaux en barquette dans les supermarchés sont un peu et à cause de leur massivité, la face émergée de l’iceberg. D’autres maltraitances effarantes ont lieu avec parfois le concours d’agents inattendus…
   Gary Francione est dans l’obligation de montrer l’ampleur de l’exploitation animale. Car celle-ci n’a pas uniquement lieu dans le milieu de l’agroalimentaire, l’agrobusiness. En effet, on voit avec le juriste que des organisations censées protéger les intérêts des animaux se font également complices du carnage des innocents. Aux Etats-Unis notamment, se déroulent des chasses closes (p.77) avec le concours d’acteurs qu’on n’imaginerait pas dans ce rôle : « Les organismes de la faune sauvage font également se reproduire certains animaux afin que les chasseurs les tirent sur des terrains publics. » (p.76). Dans ces chasses privées, les chasseurs profitent que les animaux soient complètement ineptes à la vie sauvage qui aurait dû être la leur en les tirant parfois à vue, qui perchés tantôt dans les arbres, qui planqués tranquillement et armés comme pour faire une guerre à la Rambo. On y fait fi bien évidemment que les animaux soient des êtres sensibles, tout aussi souffrant que nous lorsqu’ils sont traqués, épuisés, apeurés, blessés, puis… Il est bien établi que même les poissons ressentent la douleur, sans doute aussi le stress. De plus, les poissons osseux, comme les vertébrés, tels que les mammifères, les reptiles, les oiseaux et les amphibiens, ont des récepteurs cérébraux de benzodiazépines, ce qui indique que ces poissons peuvent éprouver de l’anxiété[8], nous dit Francione. Cela n’empêche pas que d’autres acteurs encore, pour faire tourner leur petite affaire, qu’elle soit bien profitable, se débarrassent sans vergogne des animaux ne convenant plus. Ainsi, certains zoos élèvent même des animaux dans le but d’obtenir des ressources supplémentaires en vendant ces animaux à des ranchs de chasse commerciale payant rubis sur l’ongle[9]. Réalise-t-on toute la sottise, le mépris du vivant qui prend forme dans ces actes d’abandon sans nom ?
   Il en va de même — c’est peut-être pire dans l’idée ? — dans la « recherche ». Bien qu’aujourd’hui des choses aient changé, que la « communauté scientifique tend à accepter les 3R » (p.95), les fameux 3R de Russel et Burc
h dont nous parlions dans l’article précédent sur le welfarisme (Remplacement (trouver des alternatives à l’emploi des animaux) – Réduction (de leur nombre dans les exploitations) – Raffinement (diminution maximum des souffrances provoquées)), on y rencontre encore un attachement farouche, obstiné, à la pensée que les animaux sont peu de choses et qu’ils ne ressentent pas grand-chose, si ce n’est rien. Après tout, ce ne sont que des animaux. C’est toute la formation universitaire de ces « chercheurs », « médecins », sait-on ? qu’il faut revoir sur les bancs de leursesterne261838262611183839_big études. On voit bien que pour penser de la sorte il faut y avoir été endoctriné, formaté à croire qu’il est normal de faire comme cela et pas autrement. « […] le milieu de la recherche demeure relativement attaché à la vision cartésienne de l’animal-machine, qui ne ressentirait ni douleur ni souffrance. » (p.96). Et il a bon dos l’animal-machine sur qui machinalement on va tester un peu toutes les idées saugrenues qui vous passe par la tête. Il faut bien justifier les fonds que l’on reçoit en les dépensant dans quelque chose. G. Francione cite p.98 en exemple la grande firme Charles River : « Charles River fait la promotion de ses propres souches d’animaux protégés par brevet et propose même une gamme d’animaux génétiquement modifiés pour souffrir de certains types de crises d’épilepsie, être prédisposés à certains cancers, être atteints de myopathie ou de diabète, être immunodéficients, ou souffrir d’anémie. » Le comble, c’est que dans le processus impitoyable de l’économie libéro-capitaliste il faut gagner beaucoup en coûtant le moins. Cela amène ces laboratoires à désirer faire des économies substantielles. Ils ont fréquemment recours à l’achat d’animaux volés ni plus ni moins par des réseaux de trafiquants d’animaux. La belle affaire. Qui plus est, la plupart des « recherches » effectuées n’ont rien à apporter à la santé humaine au contraire de ce qu’on voudrait faire croire au grand public, et il s’agit tout au plus de recherche fondamentale et pas du tout de recherche appliquée (cf. p.100). Et quand bien même une recherche porte véritablement sur un problème humain qu’on souhaite résoudre, guérir, les différences physiologiques entre les animaux et les humains sont telles qu’elles ne valent pas grand-chose si ce n’est rien. Tout est basé sur l’extrapolation, bien que fort souvent les animaux ne réagissent pas du tout de façon analogue aux hommes pour pouvoir justifier ce qu’on leur fait subir. Comme le dit l’auteur d’importantes différences génétiques, moléculaires et immunologiques distinguent les humains des autres animaux […][10], et c’est ainsi qu’on fera ingérer des fortes quantités d’alcool à des rats pour vérifier leur agressivité avec leurs congénères quand ils sont soûls ou non, dépendants, etc[11]. Voyez comme on leur inocule l’équivalent de millions de doses de café par jour juste pour voir. Oui, cela existe, tous les jours, et bien malin celui qui, n’étant pas du monde de la recherche, irait inventer de pareilles choses. En son temps il y avait un chercheur renommé du nom d’Harlow. Lui était fier d’étudier la peur chez les bébés singes en les mettant entre les bras de fausses mères hérissées soudain de piquants ou électrifiées, etc., afin d’affirmer l’importance chez l’humain de la présence maternelle, une présence aimante, dans la construction psychologique de l’individu. Ah oui : et les vraies mères (ça on le tient de P. Singer sauf erreur) étaient inséminées par des « machines à viols ».
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   Le plus fou, car c’est bien de folie dont on parle, qui dira que ce qu’il lit est normal ? — c’est que dans notre modèle de société fondé sur la propriété, il est très difficile de remettre en question et faire corriger de la malveillance commise sur des animaux qui ne sont pas les nôtres. « […] nous interdisons généralement aux personnes dénuées de droit de propriété de remettre en question une utilisation ou traitement donné des animaux. » (p.129).Experimentation-animale-une-barbarie-injustifiee_article_landscape_pm_v8
   Aux U.S.A. il existe pourtant l’Animal Welfare Act qui doit protéger les animaux des sévices qu’on leur fait subir, mais en dépit de l’attention et des propositions des membres de cette commission, les animaux sont rarement protégés. Le Animal Welfare Act est bien souvent obligé de revoir à la baisse — très forte — de ses prétentions au sujet du bien-être animal. Business oblige.
elevage-lapins-tertre-juin-2014-1   Comment en l’état actuel des choses pouvons-nous alors établir des droits quand nous « […] acceptons la légitimité de la consommation d’animaux […] » ? La réalisation de cette idée « se situe [alors] totalement hors de portée de la législation anti-cruauté. » (p.134). Francione l’établit très clairement, c’est une sinistre évidence : les animaux, lorsqu’ils n’ont aucune valeur marchande, ne valent rien, et par conséquent rien en terme de droit au final. Notre acceptation à cet état de fait rend toute entreprise législatrice en la question impossible d’être prise au sérieux et d’être mise en place. Voilà qui démontre combien en dépit d’une pléthore de lois de protection animale, l’exploitation animale est de nos jours pire que jamais — tant du point de vue du nombre d’animaux exploités que des moyens par lesquels ils le sont[12].
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   L’interrogation quant au statut des animaux ne date pas d’hier. Cela remonte à très loin, jusque dans l’Antiquité pour le moins. Plus proche de notre temps, Immanuel Kant, rapporte G. Francione, « […] soutenait qu’il y avait un droit inné, pré-juridique, ou pré-politique — le droit à « l’égalité innée », […] » (p.183), et c’est ce droit initial, liminaire, qui fonde notre droit d’avoir d’autres droits.
   Marian Stamp Dawkins, dans sa réflexion, écrivait se méfier en quelque sorte d’une vision rousseauiste idéalisant la Nature et arguait que là-bas, en dehors des territoires civilisés, tout n’est pas rose. Certes. Néanmoins, toujours pour rester lucide en conscience, il semble raisonnable de se ranger aux côtés de Francione quand il dit :
« Les animaux dans la nature peuvent être blessés, tomber malades, ou être attaqués par d’autres animaux. Mais le principe d’égale considération exige qu’à moins d’avoir une raison moralement sensée de ne pas le faire, nous protégions les animaux de toute souffrance issue de l’utilisation en tant que propriété des hommes. » (p.191)ADI monkey investigation 500wide 639
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   Il n’est pas nécessaire dans cette présentation de s’étaler plus avant. Le reste de l’essai de Gary Francione est parfois redondant, mais c’est par la force des choses. Il n’en demeure pas moins un ouvrage d’une importance capitale pour penser un avenir apaisé pour notre monde au vu des enjeux pour les animaux, en particulier et dans l’écosystème — et pour les humains —, un livre capital pour évoluer en conscience, plus aisé à lire que celui d’un autre juriste défenseur de la cause animal, Tom Regan qui argue sa pensée autour de la notion de sujet-d’une-vie (subject-of-a-life). L’Introduction aux droits des animaux est un livre à la portée de tous, de toutes celles et tous ceux qui n’ont plus envie de faire l’autruche (tiens, encore une expression spéciste).
test-animaux-artiste-lush-4-660x330   Finissons en avançant la découverte de Charles Darwin à notre tour : « …la différence entre l’esprit de l’homme et celui des animaux les plus élevés n’est certainement qu’une différence de degré, et non d’espèce. » (cf. p.218). À cela s’ajoute la remarque de Donald Griffin qui très pertinemment pense que les animaux sont sensibles et conscients (sentients) et qu’ils ont des intérêts propres à vivre leur vie en vertu de leur propre, subjective connaissance perceptive. Refuser cela, dit Griffin, c’est faire une « restriction arbitraire et injustifiée. » (p.219).
   Parmi les êtres vivants, un grand nombre d’entre eux — ceux auxquels les humains s’attaquent, ceux qui leur ressemblent le plus — sont sentients. Un être sentient est un type d’être qui reconnaît qu’il est cet être (c’est nous qui soulignons).
   Il faut mettre fin aux faux conflits, les fabulations de mauvaise foi qui disent « et si vous étiez sur une île déserte sans végétation, il faudrait bien manger les animaux à votre disposition » ou bien « les lions mangent bien les gazelles ». Tout cela manque cruellement de sérieux, n’est pas digne du zoon logon politikon, de l’Homme, cet être de raison.
   Nous sommes véganes qui écrivons ces lignes. Mais vous peut-être, ne l’êtes pas. Ceci vous concerne alors encore, et il ne tient qu’à vous de changer. N’ayez pas d’inquiétude. Ficher la paix aux animaux — ceux qu’on trouve si touchants quand on est enfant — n’est pas dangereux. Ça ne fait pas mal. Comme il ne fait pas de mal d’avoir envie d’un autre paradigme civilisationnel, de l’ordre de la zoopolitique, où les animaux ont des droits. Ça n’est pas une croyance, c’est une certitude, et un espoir.
   En attendant, « […] la plupart d’entre nous ne voit aucune contradiction dans le fait de s’indigner de la barbarie du sacrifice d’animaux, assis à nous délecter de côtelettes d’agneaux et de hamburger. »[13]
M.
PS. Nous vous invitons à visiter le site Les Droits des Animaux : L’Approche Abolitionniste.
http://fr.abolitionistapproach.com/a-propos/gary-l-francione/
garyfrancione-droitanimaux
   [1] Voir op. cit., p.5.
   [2] p.23 in Introduction aux droits des animaux.
   [3] Ibid. p.30.
   [4] Voir p.35 : « Le principe d’égale considération exige que nous traitions des intérêts similaires de manière similaire à moins qu’il n’existe une raison moralement acceptable de ne pas le faire. »
   [5] Ibid. p.37.
   * On biffe volontairement une partie du titre officiel en vertu de l’imposition éditoriale effectuée contre l’avis de l’auteure. Cf. http://www.vegactu.com/actualite/pour-une-revolution-vegane-un-essai-decapant-19649/
   [6] Ibid. p.47. Ce à quoi G. Francione ajoute p.57 : « Il ne fait cependant nul doute que la majorité des animaux que nous exploitons sont sentients. »
   [7] Cité dans l’essai pp.62-63.
   [8] Ibid. p.79.
   [9] Ibid. p.84.
   [10] Ibid. p.102.
   [11] p.115 on peut lire : « En testant le cyclamate, les animaux ont reçu l’équivalent humain de 552 bouteilles de soda par jour ; dans deux expériences impliquant le trichloréthylène, qui, entre autre chose, est utilisé pour décaféiner le café, les rats ont reçu l’équivalent de 50 millions de tasses de café par jour. Un tel dosage peut endommager les cellules et les tissus des animaux au point d’inhiber le développement du cancer qui se serait déclaré, ou il peut endommager le métabolisme de l’animal et provoquer un cancer qui n’aurait pas eu lieu à des doses inférieures.
   [12] Ibid. p.155.
   [13] Ibid. p.287.
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