CHEZ COLETTE — UNE VISITE LITTÉRAIRE ET ANIMALIÈRE DANS UNE MAISON RESSUSCITÉE
C’est par ce 31 décembre 2021 — journée ensoleillée d’une douceur toute printanière dont il y a peut-être lieu de s’inquiéter par ailleurs […], que nous nous sommes rendus à Saint-Sauveur-en-Puisaye pour visiter la maison d’enfance de l’écrivaine Colette.
Nous demandons à notre lectorat un peu d’indulgence pour ce qui va suivre. En effet, et aussi incroyable que cela puisse paraître surtout pour nous qui ne versons jamais dans quelque fantasmagorie de ce genre, c’est là durant la visite que nous avons surpris une étrange conversation. L’intime conciliabule consistait à la fois en halètements et en feulements et en langage humain — un excellent français cela dit en passant, qui questionnant ou répondant à tour de rôle, qui trottinant sur le plancher magnifique ou faisant ses griffes sur le paillasson du vestibule de l’entrée. Pour nous c’est clair : certains compagnons de vie de Colette sont revenus vivre dans cet au-delà « domographique », et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas perdu leur vif esprit que l’illustre autrice de Claudine et de La naissance du jour (entre autres) n’avait pas manqué de coucher sur le papier pour notre plus grand plaisir.
Indulgence, disions-nous, vous est demandée, car c’est de mémoire que nous avons tenté, du mieux qu’il nous a été possible de le faire, de restituer ici le singulier entretien que nous vous livrons ci-dessous.
K&M
TOBY-CHIEN, bâillant : …aouah… ! encore un groupe. J’espère qu’Eux sont les derniers de la journée. Ensuite, à nous les vacances, la maisonnée pour nous tous seuls jusqu’aux beaux jours, Elle qui viendra me caresser vivement les flancs et s’extasiera en voyant frétiller mon joli bout de queue coupée. Comme l’éternité est douce auprès d’Elle figée pour toujours dans la fleur du meilleur âge !
KIKI-LA-DOUCETTE, sortant d’un demi-sommeil, pattes tendues devant et arrière-train au plus haut : Comme tu es vulgaire, et si prévisible. Je savais que tu dirais cela, tu le dis à chaque fois. Alors certes, je te confirme que ce sont les derniers avant longtemps, et bientôt nous allons retrouver l’exquise béatitude de notre foyer merveilleusement restitué par leurs savants et leurs meilleurs maîtres d’ouvrages. Mais dis-moi plutôt : toi qui vantes souvent ta subtile truffe, bien que tu aimasses tout autant les paquets putrides de tes congénères que la glycine et le bignonier de Sido, n’as-tu pas senti parmi Eux quelque chose de différent cette fois ?
TOBY-CHIEN : Ma foi oui, maintenant que tu le dis, ça flotte encore dans l’air, de la cuisine jusqu’à la chambre éclairée. Laisse-moi voir…
KIKI-LA-DOUCETTE : Allez donc ! quel pataud tu es. Si engourdi entre tes deux oreilles que j’en suis presque tout colère, pffffff ! C’est un parfum de fruits et de légumes. Comprends-tu à présent ?
TOBY-CHIEN, sarcastique sans le vouloir : Je comprends que ton caractère ne change pas, invariable que tu es…
KIKI-LA-DOUCETTE, piqué au vif : Je ne m’agite pas en tous sens comme la girouette sur le toit dès qu’il y a du vent, moi. Je suis Chat, voilà tout. Dieu antique vénéré, compagnon d’infortune des femmes martyres d’antan, fauve redouté des prés et des faubourgs, muse du poète maudit, extralucide, chafouin, grâce pure et même bouillotte au lit.
TOBY-CHIEN, dans son élan : …mais l’effluve commune à ces autres Elle et Lui, c’est le signe évident d’une alimentation excluant la chair même du bœuf ou du poulet dont les filets sont pourtant si tendres et goûteux. Tiens ! et les cours de cuisine qu’on dispense ici aux enfants parfois. Ce pourrait être l’occasion de recettes végétales correspondant à l’esprit de cette époque cherchant à renouer avec tout le vivant.
KIKI-LA-DOUCETTE : Oui. J’ai même perçu un frisson agréable les traverser lorsque leur guide a mentionné l’antispécisme avant l’heure de Sido. Toi qui peux aisément manger de tout, ça ne te gênerait pas outre mesure entre le collet et le gosier j’imagine. Je suis plus précis à satisfaire, mais soit.
TOBY-CHIEN : Vrai qu’elle épargnait même la chenille velue et l’araignée descendant tremper ses mandibules dans le chocolat refroidissant du soir.
KIKI-LA-DOUCETTE : Moi je préfère mordre à belles dents l’oiseau ou la souris que lorsqu’ils piaillent encore. La chose invisible qui les fige ensuite est trop inquiétante. Et souviens-toi qu’elle finit par nous prendre un jour nous aussi.
TOBY-CHIEN : L’horrible perspective. La chose parfois, commence même par laisser son empreinte olfactive sur ceux qu’elle va pétrifier.
KIKI-LA-DOUCETTE : Laissons cela veux-tu ? En tout cas, ils ont eu l’air d’aimer la maison. Les as-tu vu faire de ces mines approbatrices quant au choix des meubles et des rideaux en damassée, ainsi que devant les objets ayant appartenu aux Landoy-Colette ?
TOBY-CHIEN, verbeux : Et les papiers peints refaits à l’identique selon le procédé de l’ancien temps, d’après les reliques murales et ses écrits à Elle. Ils ont adoré. Tout comme la belle bibliothèque et les livres dans lesquels Elle aura fait, avec son cher Balzac, la recherche de l’Absolu en littérature. Je crois bien qu’ils sont repartis tout contents. Ça sent encore le contentement.
KIKI-LA-DOUCETTE : Pour une fois tu as raison. Nous pouvons être fiers d’habiter désormais cette maison ressuscitée. La beauté, ici, a cessé de flétrir. C’est comme garder le meilleur du passé en s’y consolant des affres du monde, tout en y grattant le papier pour une intelligence de vivre ensemble pour demain.
TOBY-CHIEN, tournant sur lui-même la langue tressautant : Vivre ensemble c’est amusant ! Pas toujours facile avec ton caractère…
KIKI-LA-DOUCETTE, posté tel le sphinx et méditant comme un sage : Pfffff… Sans doute faut-il s’y faire comme on doit apprendre à supporter tes facéties cabotines. Il convient de libérer d’abord son esprit pour avoir, comme a gratté sur le papier une autre Elle l’âme flamboyante et généreuse des voyants ! Celle qu’avait notre Elle à nous, grande précurseuse de l’égalité animale et de l’écologie. [1]
TOBY-CHIEN, sautant ci et là, remuant son bout de queue : J’aime à en japper de joie lorsque tu deviens cet aède d’avant-garde !
KIKI-LA-DOUCETTE, faussement cynique : Que tu jappes ou que tu lapes pour moi c’est égal. Tu restes Chien et sans surprise, et c’est comme cela que je dois accepter de t’avoir comme meilleur ami.
TOBY-CHIEN, les deux oreilles soudainement dressées : Ah ! Voilà Elle qui revient parmi nous, de retour au bercail enfin.
KIKI-LA-DOUCETTE : Tu vas être heureux, écrasé de grosses caresses. Pour ma part je file à l’étage l’attendre dans sa chambre d’enfant. Elle m’aura bien cherché dans toutes les pièces et n’en sera que plus émue de me retrouver. S’offrir à aimer et aimer en retour, c’est entretenir savamment la distance qu’il faut parcourir pour nous retrouver, et qui nous relie.
[1] Citations tirées du texte de Méryl Pinque Colette ou la Sauvagerie, in Synergies Algérie n° 7, p.169 & p.184 (2009).
La maison vue du jardin non attenant d’en face
Le jardin d’en face
Dans l’entrée
La petite cuisine avec un plat cher à Sido, la mère de Colette
La salle à manger
Un service réalisé d’après les souvenirs de Colette
Le salon
Salon – détail
Au salon
Vue sur la rue et le jardin d’en face
Portait de Colette enfant, photographie de l’écrivain Catulle Mendès
Lampe à pétrole, aujourd’hui électrifiée
La chambre parentale
Chambre d’enfant de Colette
Sa chambre était à l’étage via l’étroit escalier
Vue au-dehors sur le village
Vers la chambre de sa sœur Juliette
Chambre de Juliette
Chambre de Juliette – détail (photographie de Juliette)
Colette
Bureau et bibliothèque du capitaine, père de Colette, Jules Colette
Vue sur le jardin de Sido
Au jardin
Depuis le jardin, fenêtre de la cuisine – détail
Pour aller plus loin avec
Le site de La Maison de Colette
Le musée Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye, cliquez ici.
Nous vous conseillons vivement la lecture de « Sauvage Colette » par l’écrivaine, traductrice et relectrice Méryl Pinque, titulaire du prix de la Société des Amis de Colette en 2015 ou encore « Colette : la sauvagerie comme panacée », auteure de La caricature de Dieu et engagée pour la cause animale (voir Vegan.fr). Cliquez sur les images ci-dessous.
Sauvage Colette
« L’enfance de Colette, en un siècle qui n’avait pas encore trahi la nature, la place sous l’égide de la sauvagerie, valeur cardinale qui guidera sa vie, l’armera contre les désillusions pour l’élever, indemne, jusqu’au faîte de la gloire pure. Sa plume n’a jamais trempé, fût-ce au plus fort d’une mondanité de hasard, qu’aux sources vives de la terre-un monde d’avant l’humain sinon d’avant l’homme, le grand séparateur, qui a tracé des frontières mortelles entre les êtres. […] »
…ou bien ici.
Colette ou la Sauvagerie

Oh, que de plaisir à lire ce texte, retrouver Toby et Kiki, Sido et Colette, mes amis depuis l’adolescence. Retrouver ce parfum. J’en suis toute émue, toute retournée. Merci pour les photos. Je m’en délecte, je me replonge. Merci.
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Coucou à toi ! De rien pour le voyage et on en profite en passant pour te souhaiter une année meilleure que la précédente, on ne sait plus quoi dire. :-p K&M
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Merci pour la visite, le dialogue et la suggestion. Toute belle année à vous et vos coéquipier à 4 pattes!
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Merci, à toi aussi une belle année toujours riche en découvertes artistique ! K&M
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Admirable échange… C’est Colette et ses compagnons ressuscités ! Bravo, vous êtes géniaux… J’espère que vous en avez fait profiter l’association : https://www.amisdecolette.fr/
A quand un livre qui compile toutes ces perles d’écriture et de philosophie ?… Ce blog est une merveille à tous égards. Le meilleur que je connaisse.
PS : pour les références, merci de mettre : https://www.academia.edu/45254774/Sauvage_Colette
C’est en effet ce texte qui a obtenu le prix de l’association 😉
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Merci pour ce compliment qui nous va droit au cœur et nous rassure de n’avoir point trahi l’esprit des « Dialogues de bêtes » ; on est toujours mieux adoubé par les experts que par soi-même – tout de même. 😉
Nous n’allons pas signifier ce petit chose aux amis de Colette, iels ont peut-être mieux à faire.
Pour le blog, nous avons jusqu’ici en effet tâché de produire quelque chose d’une bonne culture zoopolitique entre le ventre et l’esprit, « travail » qui n’aura eu qu’assez peu de faveurs chez le public végane, obtenu de la distance pure de la plupart des représentant-e-s antispécistes francophones (à de rares mais fort sympathiques exceptions près), et tout de même des retours et soutiens chaleureux chez des philosophes, écrivain-e-s ou historiens de la question animale, et c’est déjà une belle récompense.
Les modifications utiles ont été apportées à l’article, ce qui nous offre le plaisir de découvrir encore d’autres textes en fouillant, tiens : comme « Colette l’animale ».
Ah oui. Quant à publier nos articles ou autres textes engagés, la seule maison d’édition spécialisée dans le véganisme ne semble plus guère à même de nous aider à le faire. Et puis ainsi nous restons fidèles à notre volonté de partager avec tout un chacun dans la plus simple gratuité.
Mille mercis.
Amitiés.
K&M
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