DES DROITS POUR « LES ANIMAUX EN ISLAM » — OU SUR UNE ORIENTATION VÉGANE DU CULTE MUSULMAN

DES DROITS POUR « LES ANIMAUX EN ISLAM » — OU SUR UNE ORIENTATION VÉGANE DU CULTE MUSULMAN
« La cruauté de l’homme envers l’homme au nom de la religion et de Dieu est psychologiquement dans l’ordre chronologique de ses atrocités perpétrées contre le reste du monde animé. »
p.146 in Les Animaux en Islam
« Ceux qui mettent au jour quelque proposition nouvelle sont d’abord appelés hérétiques.»
Lettres Persanes — Montesquieu ; 1721
Les animaux en Islam   Lors de la Vegan Place de la dernière Veggie Pride, déambulant de stand en stand avec notre ami T. «  J. » nous avons fait une halte au stand de l’Association Droits des Animaux. Sur l’étale, t-shirts engagés, sobres et poignants, tracts et livres sont proposés autant pour informer que pour soutenir ou participer à la cause aux côtés de l’Association. C’est l’ouvrage Les Animaux en Islam qui a intrigué notre ami qui cherche à concilier son récent véganisme avec les préjugés et critiques de son entourage — famille, amis, collègues — dont certains justement musulmans.
   Un membre de Droits des Animaux présent ce jour-là nous expliqua alors avec beaucoup d’aménité les tenants et aboutissants du livre, lequel a été en son temps et en son genre déjà un plaidoyer pour les animaux. Dans la discussion nous apprîmes que nous n’avions affaire à nul autre qu’au traducteur en langue française du livre qu’Al-Hafiz B. A. Masri écrit en 1989 : Sébastien Sarméjeanne.
   Nous sommes repartis avec chacun un exemplaire du livre, très impatients d’en connaître le contenu.
   En voici un fil de lecture, illustré par nous avec des enluminures perses et ottomanes du temps où l’Islam n’interdisait pas ce type de représentations, où l’on y voit des animaux, donc en rapport avec notre sujet — et ce que nous en concluons.
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   Universitaire, journaliste spécialisé, Imam, Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri a offert aux musulmans et au monde un essai dont la pertinence reste d’actualité ; hélas. Al-Hafiz Basheer Ahmad MasriAujourd’hui plus encore qu’en 1989 quand fut publié Animals in Islam, la population concernée par la question animale (son bien-être ou sa libération) mesure l’urgence d’une prise de conscience. Si le sujet s’adresse aux musulmans de prime abord, sachez bien que cette œuvre, savante, très documentée, concise et humble, peut être lue par tous à cause de sa richesse et de sa justesse.
Malek Chebel   L’érudit et penseur algérien Malek Chebel a eu l’obligeance de préfacer cette version française parue cette année même. Quelque part, il nous  met d’emblée la puce à l’oreille quand il nous apprend — nous sommes très novices en matière de religion islamique — que le premier sacrifice animal important est celui d’un mouton céleste qu’Allah met en remplacement de l’enfant d’Ibrahim (Abraham) qu’il acceptait de sacrifier pour le très haut (p.10) « Tel est le sens de l’Aïd el-Kebir ou Aïd al-ad’ha » : la Grande Fête, mais aussi la Fête du Sacrifice. Avant le sacrifice il faut prononcer Bismi-allahi ar-Rahman ar-Rahim[1] (« Au nom de Dieu clément et miséricordieux ») sans quoi, nous dit M. Chebel, « aucune nourriture n’est permise, dès lors que selon le même Coran « ni leur chair, ni leur sang n’ont de valeur en soi auprès d’Allah… » »(XXII, 37)[2]. C’est dire la charge symbolique très forte et qui, comprenons-nous en soi constitue la position de soumission et de rendre grâce auprès de Dieu quasi exclusive parce qu’elle inclue tout en elle. Qui plus est à l’origine, il est question d’immolation — d’holocauste —, c’est-à-dire qu’on brûlait l’animal en sacrifice à Dieu.
   Si le mouton du départ est une création céleste spécifique, et si sa chair et son sang comptent moins que la formule qui le consacre, il y a tout lieu de s’interroger sur la pertinence de continuer à manger de la viande, en tant que musulman, et de questionner les conditions textuelles (coraniques) et pratiques (matérielles) de cette manière de vivre.Art islamique 3
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   C’est en ce sens qu’Al-Hafiz B. A. Masri a travaillé durant trois années à l’écriture de son livre. Ainsi, p.19 il nous dit que l’Islam, entrée dans la modernité, doit faire face à ces questions qui s’intéressent aux conditions globales de la Vie sur Terre. C’est par un point de vue holistique qu’il commence son approche, tant en abordant la moralité que l’écologie. Pour lui la vie, et la Terre, sont un entrelacement, une « unité homogène » qui ne peut pas être démêlée pour l’amélioration d’une espèce au détriment d’une autre. Ce dont les hommes doivent avoir conscience, c’est qu’ils se font eux-mêmes leurs propres blessures et qu’il est abscons d’en rejeter la responsabilité sur les animaux, ni les faire souffrir pour des intérêts humains pécuniaires, égoïstes et à courte vue. L’exploitation du règne animal mène de facto — comme fort bien observé à l’époque (1986 à 1989) — à infliger des « ravages sur l’équilibre écologique. » Sensible à la condition animale, à la souffrance des individus, Al-Hafiz B. A. Masri dit que : « L’Islam veut que nous pensions et agissions dans les termes positifs de l’acceptation de toutes les espèces en tant que communauté à part entière, […] » (p.20). Il y a peu de place pour les considérations morales, déplore l’auteur, et les législateurs nationaux plient sous les pressions politico-économiques de l’Équilibre International du Pouvoir et les Balances du Paiement Monétaire[3] au détriment direct des animaux. Pourtant, le Coran qui fait référence selon Masri, le Coran Majeed, fait état d’un pied d’égalité existential face au Créateur car :
« Il n’y a pas d’animal sur terre, ni d’oiseau qui vole de ses ailes, mais ils sont des communautés comme vous {…} » (Coran 6 :38) (p.31)
Art islamique 4   On ne peut avancer que c’est parce qu’ils n’ont pas la parole (humaine) que les animaux sont inférieurs. Si leur appareil vocal [est] différent, ils communiquent les uns avec les autres (à l’image des abeilles dont la science a découvert la complexité de la vie sociale) et ce « suffisamment pour exprimer leurs intérêts sociaux et leurs besoins biologiques. » (p.39) Le Livre et son Prophète établit clairement l’égalité animale face à Dieu :
« Ne vois-tu pas que c’est Allah Dont les louanges sont célébrées par tous les êtres dans les cieux et sur la terre, et par les oiseaux aux ailes déployées ? Chacun sait sa prière et son invocation. Et Allah sait ce qu’ils font. » (Coran 24 :41) (p.42)
   Les animaux sont liés à Dieu par le même canal que les humains. Cette communication c’est Wahi (cf. p.43).
   À l’époque du Prophète il est extrêmement important de bien traiter les animaux, à l’instar de ces deux passages dans les sourates 79 et 80, qui concernent la relation de la vie domestique (humaine et non-humaine) où l’homme doit prendre soin de son troupeau en lui procurant pâturage et eau et pas uniquement pour lui-même (Coran 79 :31-33) et pourvoir en : « Provisions pour vous ainsi que pour votre bétail. » (Coran 80 :24-32) (p.46).Art islamique 2
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   Malgré les impératifs clairs du Coran (Quran) stipulant l’importance du soin à prodiguer aux animaux, Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri constate que ces derniers, par millions de millions, sont soumis à de très mauvais traitements de la part de beaucoup de musulmans dans leur pratique — continue — de leur foi, l’exercice de leur religion dans les gestes quotidiens relatifs aux animaux.
   Si l’on a vu la charge symbolique de la formule avant le sacrifice, l’auteur fait remarquer que les pratiquants font fi de la notion d’analogie (ijtihâd ; cf. p.49) qui pourrait dans certains cas 1) les dispenser de manger les animaux ou bien à tout le moins 2) leur éviter des grandes souffrances.
Art islamique 5   De la sorte les musulmans s’empêchent de changer, persuadés pour beaucoup qu’ils font bien parce qu’il serait obligatoire de faire tel qu’ils font. C’est une erreur. Entre les diverses interprétations et des habitudes prises sans vraiment y penser, l’auteur de Les animaux en Islam appelle à relire le Livre en réitérant les sages et vertueux conseils du Coran comme celui disant que « Celui qui a pitié {même} d’un moineau et épargne sa vie, Allah sera miséricordieux envers lui le Jour du Jugement Dernier. » (Hadith, p.51). Masri tance une certaine forme de déni et/ ou d’hypocrisie dont les gens se servent pour ne pas remettre en question des certitudes infondées ou un système qui les dépasse et dont les impératifs ne correspondent pas à la spiritualité islamique du Coran Majeed. Pour lui on ne peut pas jongler en permanence et jouer sur le « deux poids deux mesures » en ce qui concerne nos valeurs morales et éthiques[4].
al-idtirâtu lâ labtil haqqal ghail[5]
   « L’intérêt ou le besoin de l’un n’abroge pas le droit de l’autre »
   Autrement dit, s’il est licite (Halal) de manger des animaux, il est illicite (Hâram) de le faire dans les conditions où ils sont élevés de manière intensive, concentrationnaire, stressante, blessante, effrayante, brisant leur vie sociale, leurs habitus physique et psychique, comme il est fait massivement et de plus en plus — déjà à la fin des années 80 — jusqu’à aujourd’hui. Comme le dit le savant Imam : « Ces pays en voie de développement qui ont commencé à copier les méthodes actuelles d’agriculture et d’élevage devraient essayer d’apprendre des erreurs de l’Occident. […] Ces animaux, dont l’homme a toujours été dépendant pour sa nourriture, ont-ils certains droits fondamentaux ? Par exemple, le droit à la compagnie de leurs congénères, le droit à une alimentation appropriée pour les garder en bonne santé, et le droit à une vie naturelle et une mort sans douleur ? (pp.61 et 64) » Et il ajoute que c’est au risque, pas seulement encouru mais bel et bien vécu de devenir davantage bestiaux nous-mêmes.
   Avant l’heure où désormais l’on en parle beaucoup, Al-Hafiz B. A. Masri évoque là le champ de la zoopolitique. Est-il tenable, humainement et aussi dans le cadre d’une vie spirituelle, de soutenir ce mode de marchandisation/ consommation du vivant ? — exactement comme on ne saurait soutenir encore l’esclavagisme ou le sexisme, etc. ? Qui plus est, l’ingestion de nourritures meurtries est reconnue comme blessante pour celui qui l’assimile ; il y a un lien éthologique étroit entre l’alimentation et la formation du caractère[6].
   L’auteur ne mâche pas ses mots puisqu’au sujet de la société de consommation tout entière il considère qu’on sombre bien trop fréquemment dans des « extravagances et stupidité pures » (p.97).
   Songeons au commerce de la fourrure pour lequel et la tiédeur agréable ressentie par ceux qui la porte, des animaux par millions sont dépecés vivants et jetés pêle-mêle en charniers avant d’y rendre leur dernier souffle exsangue. En suivant les préceptes du Coran, on perçoit bien qu’il ne saurait y avoir de probité que tournée — autocentrée — vers les hommes (anthropocentrisme). « La moralité limitée à l’espèce humaine seule n’en est pas une à moins qu’elle devienne exhaustive, en incluant la plus minuscule des créatures de Dieu dans la connotation étendue de la moralité écologique. » (p.102) D’autres passages reviennent affirmer la sentence qui n’abroge pas la formule mais rend questionnable l’acte de tuer un animal pour le manger en dévotion à Dieu[7].
   Savant disions-nous, Masri nous donne à lire un pathétique poème de Georges Bernard Shaw Tombes Vivantes, qui décrit nos comportements sanguinaires et termine qu’« Ainsi la cruauté engendre son rejeton — la GUERRE. » (p.147). Voilà pourquoi, ces raisons énoncées jusqu’ici, le sacrifice animal n’est pas une fin en soi mais un « moyen de répondre à un besoin social. » (p.152)
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Art islamique 1   Face au mouvement effréné de la rente (productivité, gains) se trouve inévitablement évoqué celui de l’abattage, et notamment celui de l’étourdissement qui le précède et est imposé par les législations occidentales. Ces questions sont importantes du point de vue théologique mais […] (elles sont) également devenues des problèmes ethnologiques qui déchainent les passions, écrit Al-Hafiz B. A. Masri page 177. En effet, il y a confusion manifeste — et contradiction — entre le fait d’abattre en louant Dieu juste avant, et le faire pendant que l’animal est en pleine conscience ou non.
  Il a déjà été expliqué que le mot « Tayyib », qui se traduit par « bon », « pur, « sain », etc. signifiait pur à la fois au sens moral et au sens physique. Par exemple, la nourriture obtenue par tout moyen illégal ou contraire à l’éthique, tel que soumettre les animaux à des actes cruels durant leur élevage, leur transport, leur abattage, ou porter atteinte à leur bien-être général serait impure et sa consommation serait illicite (Harâm). De tels animaux demeureraient toujours une nourriture interdite (Harâm) même s’ils étaient abattus de la plus stricte manière islamique.
p.181
   Cela suggère très certainement que, à la lecture du Coran Majeed faite par Masri, la plupart des fois où l’on tue rituellement un animal dans le cadre de la religion musulmane il y a maldonne. Est-il possible que la course folle à la consommation pour le profit et la dépendance à la viande, ce « luxe » des temps modernes, puisse induire en erreur autant de gens pensant bien faire, c’est-à-dire agir en conséquence d’une foi — de bonne foi ? L’ubris, la démesure, n’a-t-elle pas totalement perverti la religion ? « […] car Allah ne chérit pas ceux qui dépassent les limites. » Coran (5:90) (p.183)
   Ajoutons ce moment très intéressant où Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri précise queIbrahim prêt au sacrifice d'Ismael par le fait que Juifs et Chrétiens ne prononcent pas un autre nom que celui de Dieu, leur viande est licite[8]. Et si un Musulman ne sait rien de la façon dont la mise à mort a été faite, alors c’est licite aussi. Il faut comprendre en ce cas que ce qui compte, si l’on est musulman et qu’on mange de la viande — ce qui n’est pas interdit car toute nourriture est offerte (possible) aux hommes sans toutefois jamais être rendue obligatoire ni par le Prophète ni par Allah — c’est l’obligeance à Dieu qu’éprouve et que témoigne le fidèle quand il se nourrit (et à d’autres moment de la vie aussi bien entendu). Croire, en termes de foi, c’est vouloir aller vers la Lumière et cela peut être une invite à y voir clair dans la réalité des choses qui se passent maintenant et autour de nous et en conscience.
   Vers la fin de l’essai, l’auteur indique que dès 1986 la Muslim World Ligue, associée à l’UNESCO et à l’UNICEF allait dans le sens de sa lecture, ainsi que de très nombreux et majoritaires commentateurs éclairés du Coran, ce qui n’est pas rien.islam-poissons
   On trouve dans l’ouvrage de Masri une attention précise à l’alimentation végétalienne tout comme à ses bienfaits pour la santé, a contrario des dégâts de l’agrobusiness sur l’environnement — vivant.
   La technique d’abattage rituelle y est abondamment décrite et analysée.
   À la lecture de Les Animaux en Islam, il nous apparaît que pour bien faire, on ne devrait pas les tuer sans avoir pris toutes les précautions nécessaires à ce qu’ils ne souffrent point. Chose très difficile, si ce n’est impossible, à réaliser malgré toute la technique et les précautions qu’on voudra bien mettre en œuvre.
   Il existe une autre solution : celle de manger végétarien, voire de manière plus cohérente encore végétalien, et pourquoi pas, chers lecteurs, devenir véganes puisqu’il n’y a aucune nécessité ni biologique, ni morale, ni religieuse même, de soumettre les animaux au sort misérable qui est le leur. La compassion et le respect pour le vivant appartiennent au domaine de l’éthique qui surplombe toute autre forme de considération et les réunit dans son giron, celui, pacifique, de l’empathie et du laisser vivre.
M.
Bébé mouton
   Une vidéo en arabe doublée en anglais de Al-Hafiz B. A. Masri, ici.
   Trois sites en faveur du végéta*isme en Islam :
http://religion.info/french/articles/article_47.shtml#.VinwlH7hBhE
http://www.islamicconcern.com/
http://www.sunnisme.com/en-islam-un-musulman-peut-il-devenir-vegetarien-ou-vegetalien.html
Animals in Islam

Association Droits des Animaux

   [1] Il s’agit d’une formule propitiatoire.
   [2] In Les animaux en Islam, p.11
   [3] Ibid. p.26. Et d’ajouter p.36 : « […] l’équilibre écologique et environnemental de notre planète est d’une importance primordiale pour la vie sur Terre. […] C’est uniquement l’espèce humaine qui a la particularité de bafouer ses lois et de bouleverser l’équilibre de la nature. »
   [4] Idid. p.52.
   [5] Ibid. p.53.
   [6] Ibid. p.65.
   [7] « Ce n’est pas leur chair, ni leur sang, qui atteint Allah ; c’est votre vertu {piété et volonté spirituelle} qui l’atteint {…}. » Coran (22:37) in op. cit. p.145.
   [8] Ibid. p.193.

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