MUTATIS MUTANTS10 : CE QUI DEVRAIT ÊTRE CHANGÉ AVANT 2050 — L’ESPOIR D’UNE FEMME D’ACTION — D’APRÈS « NOUS SOMMES CE QUE NOUS MANGEONS » DE JANE GOODALL — ET ÇA N’EST PAS DE LA SCIENCE-FICTION

MUTATIS MUTANTS10 : CE QUI DEVRAIT ÊTRE CHANGÉ AVANT 2050 — D’APRÈS « NOUS SOMMES CE QUE NOUS MANGEONS » DE JANE GOODALL
« Tous autant que nous sommes,
nous nourrissons le secret désir de revenir à la nature. »
Créateur d’univers, A.E. van Vogt
« C’est la méfiance, et non la tolérance, qui nous gouverne. »
À la poursuite des Slans, A.E. van Vogt
   Il y a urgence à agir pour notre futur proche. Ça, chacun des végans l’a bien intégré. C’est dire que le véganisme est aujourd’hui un mode de vie — d’aucun dirait une philosophie — complètement intégré au cœur de la pensée écologiste.
noussommescequenousmangeons   On a pu déjà ici parler du traitement des animaux dans l’énorme procès mécanisé de marchandisation du vivant. On a pu s’interroger sur la dissonance cognitive qui fait qu’on dit aimer les animaux tout en défendant les chiens et en mangeant les cochons. Tiens ! voilà un nom d’animal bien masqué par la dissonance en question et par la discordance de ladite mécanique sociétale censée nous nourrir, et c’est à ce titre qu’actuellement on parle de « crise du porc » parce que les éleveurs, même à grand renfort de subventions payées par notre fiscalité, ne s’en sortent pas. Comme on l’a écrit il n’y a pas si longtemps en reprenant une belle définition chez Sue Hubell (Une année à la campagne), la lutte pour la vie c’est en grec Πάλη (palè) et c’est de là que vient le joli mot de pollinisation ; c’est tout à la fois une épreuve et c’est ce que l’écologisme vegan se propose de faire : s’éprouver au monde… vivant. C’est ce sentiment, cette é-motion qui sont la dynamique végane propre à redéfinir les arcanes de la société, voire : de la civilisation — sur les bases théoriques anarchistes actées dès lors qu’on est devenu vegan et mènent au désir de construction d’une démocratie zoopolitique. Comme le dit Jane Goodall dans son passionnant livre qui fête ses dix-ans Nous sommes ce que nous mangeons : « […] Or les abeilles jouent, comme tout le monde le sait, un rôle décisif dans la pollinisation des arbres et des végétaux. » (p.14), arguant par là qu’il faut réfléchir aux dilemmes moraux et agir quant J. Goodall et bébé chimpanzéaux questions éthiques qui restent encore, notamment en France, largement sous représentés en tant que maillon littéralement sociétaire de notre façon de vivre parce qu’il y a péril en la demeure. Or, et nous allons voir comment, il nous semble que le message de J. Goodall — remarquable bienfaitrice des chimpanzés de la Gombe, et humanitaire — est aujourd’hui éculé. Il paraît même très politiquement correct et pour le coup, spéciste.
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   L’auteur met tout son cœur dans son livre, et toute son expérience aussi. Ainsi commence-t-elle par nous rappeler que la « sortie » des humains du monde « sauvage » n’est pas si intimement lié qu’on veut bien le faire croire à la consommation de la viande. De nos jours, on admet généralement que, même si les premiers êtres humains mangeaient probablement de la viande, celle-ci est loin d’avoir joué un rôle prépondérant dans leur alimentation[1]. Plus loin de préciser qu’[…] on pense que les vaches ont été domestiquées dans le Sud-Est de l’Europe il y a 8500 ans. Depuis, les produits laitiers — le lait, le beurre, le fromage, les yaourts — font partie de la base alimentaire de millions de personnes dans le monde[2]. Ce qui tend à montrer qu’hormis de la charogne, l’on a, en effet, pas toujours mangé de la viande. Cela dit, de nos jours la demande de viande explose et cela n’est pas sans poser les multiples rayons supermarcheproblèmes qui font les unes heureuses des médias : crise de la vache folle, virus H1N1, bactérie Escherichia coli, intoxications alimentaires et comme nous le disions en préambule « crise du porc »… Toutes ces pseudo-crises qui sont autant de leviers pour les lobbys et les législateurs-actionnaires ne parviennent à masquer l’évidence : « Le problème est simple : la culture industrielle ne fait qu’appauvrir la terre arable. » nous dit Jane Goodall page 65. Ce que cherchent les grands groupes ce sont les profits immédiats à court terme. Dans leur logique cela se comprend. En soi cela est très efficace, et se passe avec l’assentiment généralisé. Sous couvert de traditionalisme, de culture, on fait avaler pas mal de couleuvres. Et pourtant, comme cela ne peut être totalement éclipsé, les consortiums industriels se mettent au bio eux aussi, craignant pour les fruits juteux de l’agrobusiness car « […] les substances chimiques agricoles sont en passe de détruire notre flore et notre faune sauvages. » (p.70).
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J. Goodall Et finalement, quelle que soit la méthode utilisée (conventionnelle ou organic (bio)), l’important pour les possédants de ces énormes marchés aux enjeux colossaux, c’est d’y conserver la main basse. Goodall le dit en ces termes : « À ce rythme, une poignée de multinationales va mettre la main sur la totalité des réserves mondiales de semences. » (p.84). Et nous prévient qu’il n’y a pas de preuves que l’appareil de la génétique permettent un jour que refleurissent les terres dévastées. On relèvera au passage combien le business procède d’un paradoxe étonnant : il fructifie sur des méthodologies de productibilité qui seront bientôt (déjà…) obsolètes en ce que la destruction est préférée à la création. C’est tout ce qui oppose l’idéologie capitaliste marchande pure à la notion écologique du « durable ». Les industriels n’ont en cela rien d’homérien si l’on pense à ce que dit Hannah Arendt dans Condition de l’homme moderne sur Démocrite louant l’auteur de L’Iliade et L’Odyssée « « qui de toute sorte de mots construisit un cosmos » — epeôn kosmon etektènato pantoiôn (Diels. Op. cit. B21) » (p.226 in op. cit). On pourrait même dire que « de toutes sortes de maux ils (les industriels) fabriquent notre monde » au sens où l’on dit à quelqu’un dont on doute de son activité « qu’est-ce que tu fabriques ? ». Bien entendu, tout le monde ne souscrit pas benoitement à cette acception destructrice. J. Goodall cherche alors, puisqu’elle voit bien ce qui ne va plus, des solutions, à chacun d’opérer des changements dans la conduite de sa vie, et cela passe par des choses très concrètes et plutôt simples : lorsqu’on est en désaccord avec la politique menée par un magasin, on peut toujours en trouver d’autres qui proposent une large sélection d’aliments sans OGM et même issus de l’agriculture biologique[3]. L’inquiétante réalité, c’est que les OGM sont déjà à notre insu énormément présents dans ce que nous mangeons… quand nous mangeons des animaux[4].Fast food
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   L’auteure va jusqu’à nous rappeler l’admiration qu’avait Adolf Hitler pour Henri Ford. Le travail à la chaîne qui entraina l’essor de l’automobile s’est avéré formateur pour planifier l’holocauste. Ford, paraît-il, le rendait bien en admiration au führer. Et ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que Ford lui-même s’était inspiré des abattoirs de Chicago, lequel en 1905, date à laquelle Upton Sinclair publie son stupéfiant roman La Jungle décrivant cet enfer pour les bêtes et les hommes.
   Voici donc les animaux qui entrent en scène. Dans son plaidoyer écologiste, Jane Goodall qui a passé toute sa vie auprès d’espèces sauvages en Tanzanie et ailleurs, qui milite partout dans le monde pour sa sauvegarde, s’intéresse au sort de ces malheureux esclaves dont on se moque de ce qu’ils disent quand ils meuglent, hennissent, grouinent, barrissent, bêlent, rugissent ou gazouillent. « […] même ceux qui n’éprouvent pas de sympathie particulière pour la condition animale devraient s’inquiéter de savoir qu’en plus des hormones et des antibiotiques présents dans la viande, tous les pesticides, herbicides et engrais utilisés pour faire pousser la nourriture des animaux se retrouvent au bout du compte dans cette même viande que nous mangeons. » implore-t-elle dans les pages 124 et 125. C’est qu’enfin, voudrait-on tellement n’avoir plus qu’à respirer les émanations du lisier de porcs engraissés chimiquement ? Souhaiterait-on que se répande une épidémie du prolifique microbe Pfesteria piscidia ? ou encore que nous tombent dessus des saletés pires que le SRAS, le VIH ou Ebola dont certaines théories, nombreuses, s’accordent à penser qu’elles surgirent à cause du commerce (illégal) de la viande sauvage ? (cf.p.134 et 139-140). Ce ne serait pas raisonnable. On maltraite les animaux et au final cela nous retombe sur le museau…
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   Économiquement aussi, mais c’est une véritable gabegie ! Rendez-vous compte avec ce peu d’exemples :
  • « Le prix des hamburgers ne comprend pas les dommages causés à l’environnement. » (p.159)
  • « La seule manière de revenir à un environnement réellement sain serait de modifier les habitudes d’un nombre toujours croissant de personnes mangeant beaucoup trop de viande. » (p.160)
  • « Le fourrage et les graines qui servent à nourrir les animaux dont la viande est consommée en Europe exigent une surface de culture sept fois supérieure à l’Union européenne. » (p.200)
   Tout de même ; au milieu de toutes ces sinistres nouvelles, il y en a de meilleures. Ainsi, Goodall nous dit qu’on ne vous regarde plus comme un drôle d’oiseau lorsque, dans un restaurant, vous demandez un plat sans viande[5]. Et ce, même au beau milieu du Texas où tous les T-bones qu’on vous sert ne sont fort heureusement pas produits que par des fous des pesticides, herbicides et autres délices phytosanitaires. PartoutGombe chimps dans le monde il y a des initiatives, des petits qui se mettent à faire autrement en respectant la terre qu’ils travaillent, l’environnement et les conditions de leurs élevages. Il faut cesser avec les dépenses faramineuses cachées dans le système et qui ruinent la santé de nos corps et de nos portefeuilles. Alors que le supermarché global incarne la multiplication de l’offre, il est aussi à l’origine de valeurs et d’attentes totalement irréelles[6]. Certains voyages de nos aliments gaspillent de la sorte dix fois une seule des calories qui se retrouvent dans notre assiette.
   Comme dénoncé dans Hope’s Edge de Frances Moore Lappé et sa fille Anne Lappé dont nous parle Jane Goodall, il y a aujourd’hui (2005) seulement une dizaine de multinationales qui contrôlent la moitié des réserves mondiales de nourriture. Il est grand temps — et on voit effectivement ce qui a changé depuis dix ans, oui ? — de faire autrement, d’autant que les méthodes agricoles respectueuses de l’environnement sont performantes : « Aux Etats-Unis, les exploitants respectueux de l’environnement qui faminecherchent à créer des écosystèmes sains sans produits chimiques ont à présent des rendements plus élevés que les exploitants industriels. Les avantages de l’agriculture bio sont encore plus visibles lors des années de sécheresse, comme en 1998, où l’on a pu voir que les exploitations bio avaient de plus grandes récoltes — de 33 à 41% de plus — […] » (p.218) et le risque d’érosion est beaucoup plus élevé avec la monoculture.
   Jane Goodall est très bien renseignée. C’est une femme de terrain doublée d’une savante et c’est un peu, en quelque sorte, aussi une lanceuse d’alerte. Elle ajoute avec pertinence dans les pages 223 et 224 : « Certes, pesticides et OGM sont proscrits mais les quantités d’eau et d’énergie fossile utilisées sont considérables. Comme ces producteurs persistent dans la monoculture intensive, ils sont les tenants d’un système affaibli de l’intérieur. Au lieu d’enrichir leurs sols avec du compost et de pratiquer la rotation des cultures, ils achètent des bouteilles et des sacs d’engrais « bio » pour répandre sur leurs semis — ces produits dopent le sol de manière provisoire, mais ils ne leur donnent pas la vigueur qu’on trouve dans les exploitations bio plus strictes. »[7] Comme nous informe Goodall, il nous faut vouloir « mettre le visage du fermier sur la nourriture » comme l’exigèrent des japonaises soucieuses de la provenance des produits qu’elles consommaient, ce que l’on nomme là-bas teikei.
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Guerre de l'eau   C’est vrai : à bien y regarder c’est un désastre. Joan Gussow tirait elle aussi la sonnette d’alarme en 2002 dans son livre This Organic Life (cf. pp.254-255 in op. cit.). Il faut réapprendre à cultiver, produire local car à court terme nous n’aurons de toute manière plus de pétrole et il sera impossible d’expédier des aliments partout où ce sera nécessaire. Le monde vivant y compris la communauté humaine est très endommagé par l’action industrieuse de l’Homme. Les dommages sur la vie, sur la santé, sont catastrophiques : « Puis par ailleurs, alors que les enfants des régions les plus pauvres du monde souffrent de malnutrition ou meurent de faim, les enfants vivants dans d’autres parties du monde souffrent d’obésité endémique. » (p.277). On peut alors, en réaction, limiter nos importations de nourriture aux zones où les ressources locales ne suffisent pas à couvrir les besoins des habitants. D’autant qu’à l’époque (2005) 1,2 milliards de personnes sont sans accès à l’eau potable (p.332 mais qu’en est-il aujourd’hui exactement ?) et que les grandes multinationales mettent tout en œuvre pour s’assurer la maîtrise des ressources en eau de ce monde (p.332) et que près de 40% de la population mondiale vit des pays où l’eau fait défaut (p.337). On pense évidemment au PDG de Nestlé qui voulait privatiser l’eau, en 2009 sauf erreur. Une folie sans nom.désertification
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   Le livre de Jane Goodall, comme on l’a vu, est une invite à reconsidérer nos moyens de production alimentaire afin de les rendre plus sains et d’éviter les dépenses énergétiques inutiles et pourvoyeuses de pollution. Nos comportements doivent changer sinon d’ici 2050 nous assisterons à un scénario catastrophe digne des films d’anticipations les plus noirs. Mais, avouons-le, on nage déjà en pleine SF, au sens où chez Philip K. Dick l’avenir s’annonce sombre, on pense ici aux romans Blade Runner ou encore Dr Bloodmoney.
   C’est un rapport, le Millenium Report des Nations unies qui stipule en 2005 qu’à cause de l’agriculture et de la pêche intensives il n’y aura plus assez de ressources d’ici la moitié du XXIème siècle.Lucian Freud
   Jane Goodall garde espoir. L’espoir que chacun d’entre nous soit acteur des changements nécessaires à notre survie et à la sauvegarde du monde naturel autant que faire se peut. C’est un espoir noble. Noble et spéciste. Car comme vous l’aurez remarqué, quoique l’auteure soit devenue il y a longtemps végétarienne et incite les gens à consommer moins de viande, moins d’animaux et produits animaux en général, cette dernière dont on voit les stands à chaque Vegan Place, ne milite pas — en 2005 en tout cas — pour un véganisme abolitionniste. C’est dommage. Dommage parce qu’insuffisant dans sa démarche. Certes les chimpanzés méritent toute notre attention, de l’espace vital et protégé, hors de portée des exactions humaines, mais bio ou non, l’agriculture ne devrait plus user des animaux dits domestiques puisque c’est inutile à notre santé, cruel et inique. On pense que le « travail » accompli, y compris en tant que « forme de vie à l’œuvre dans le processus de la Vie » des êtres non–humains exploités par l’Homme doit cesser, parce que ce « travail » est détourné de sa « fonction » implicite et naturel, un peu comme Karl Marx dénonçait le procès du capital comme le relate Michel Foucault dans Les mots et les choses :
   « […] avec le temps, le produit du travail s’accumule, échappant sans répit à ceux qui l’accomplissent : ceux-ci produisent infiniment plus que cette part de la valeur qui leur revient sous forme de salaire, et donnent ainsi au capital la possibilité d’acheter à nouveau du travail. Ainsi croît sans cesse le nombre de ceux que l’Histoire maintient aux limites de leurs conditions d’existence ; et par là même ces conditions ne cessent de devenir plus précaires et d’approcher de ce qui rendra l’existence elle-même impossible ; l’accumulation du capital, la croissance des entreprise et de leur capacité, la pression constante sur les salaires, l’excès de la production, rétrécissent le marché du travail, diminuant sa rétribution et augmentant le chômage. »
p.273 in op. cit.
   Reprenons alors à notre compte le propos de Roger Garaudy en inversant les termes de nature et de culture — bien que c’est peut-être dans le même sens que nous qu’il voulait dire ce qu’il disait en écrivant dans Marxisme du XXème siècle :
« L’homme peut prendre en charge l’évolution dont le moteur n’est plus la nature, l’affrontement bestial d’intérêts concurrents, mais la culture, la connaissance des fins et des moyens du développement humain. »
p.32 in op. cit.
   Nous végans, sommes un peu des Slans, ces mutants dans le roman d’Alfred E. von Vogt. Des mutants qui voudraient bien que le reste du monde se mette à leur poursuite ; non pour nous chasser mais pour nous imiter ; pour muter à leur tour et aller au bout du commencement du meilleur de notre évolution.
M.
porc
   [1] In Nous sommes ce que nous mangeons, p.29.
   [2] Ibid., pp.115-116.
   [3] Ibid., p.100.
   [4] « Enfin, il ne faut pas oublier que plus de moitié des organismes génétiquement modifiés cultivés dans le monde servent de nourriture animale. Il faut donc éviter autant que faire se peut les produits d’origine animale non issus de l’élevage biologique. » p.101 in Nous sommes ce que nous mangeons.
   [5] Ibid., p.205.
   [6] Ibid., p.210.
  [7] On apprend également que, par exemple, en 1990 Gallo Wine, dans le comté de Somona, a transformé son agriculture conventionnelle en bio, sans engrais chimiques, réduisant par là même le prix de revient à l’hectare. (cf. p.234).

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