ET PUIS QUOI ENCORE, DAVID CHAUVET — « TAXER LA VIANDE » — ? — REQUINS DE VÉGANES !

DAVID CHAUVET — « TAXER LA VIANDE » — ? — REQUINS DE VÉGANES !

 

« […] ainsi l’éthique est-elle en passe de devenir le nœud de tous les enjeux à l’égard des politiques qui manquent aujourd’hui le local, la relation immédiate, l’environnement, la reconstitution du tissu social. »
p.65 in Qu’est-ce que l’écosophie ? — Félix Guattari (1992)

 

« […] je ne suis qu’un animal déguisé en madone […] je pourrais te blesser, dans la nuit qui frissonne […] »
La grenade de Clara Lucianni — album « Sainte-Victoire » (2018)

 

« Faible avec la viande, dur avec les animaux. […] Car il faudra bien taxer la viande, et vite. »
p.40, p.26 in Taxer la viande — David Chauvet (2019)

 

 

   C’est à n’en pas croire ses esgourdes ! Non mais qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Taxer la viande ??! Et puis quoi encore, David Chauvet ?! Franchement l’heure est grave. Ami-e-s carnistes, ami-e-s de la bonne chère, dear friends of la grosse mangeaille, d’alanguis aligots et de gros boudins, ami-e-s — oui c’est osé : — décroissant-e-s, ne vous laissez pas faire ! Car ce n’est plus un végane de plus qui vous fait la morale sur le mal que l’on fait aux animaux, ça, passe encore, car après tout c’est vrai, mais enfin faut bien se faire plaisir, on n’est pas sur Terre pour faire attention à quoi que ce soit, qu’on s’amuse, qu’on consomme, qu’on s’dépense, qu’on dé-pense dans l’oubli absolu, le déni… responsable n’est pas coupable alors arrêtez de vouloir nous le faire payer ! Bon Dieu : indignez-vous ! sortez en gilets de sauvetage ! portez des bouées de secours ! fredonnez tra-lala la la la leuh leuleuh les White Stripes ! mais pas une taxe de plus, non de non, ça va saigner c’est nous qu’on vous le dit ! Et l’autre là : « J’espère vous convaincre que vous devriez y réfléchir à deux fois avant de rejeter l’idée d’une taxe sur la viande. » dit-il page 11 de cet insignifiant brûlot antispéciste. Ah l’on vous jure ; à vous en couper l’appétit. Et puis un bon dessin façon Banksy par Mélanie M. Marbach ça ne va pas redorer le blason du bidule.

   On ne va pas s’étendre sur cette absurde proposition, tant le livre est tout petit, dans les quatre-vingt pages, et son coût pour le coup (5 euros), ridiculement minime. Minable oui ! sans doute parce que ce qu’y déclame le perfide auteur ne vaut pas plus. Mais allez un peu le lire quand même ce machin-là, vous vous ferez une idée. Taxer la viande ! Le déliiiiire ! Déjà, souvenez-vous, Patrice Laffont en 2003 avait tenté dans une émission sur France2, intitulée « Climaction », de vous faire entendre qu’il faudrait manger moins de viande pour endiguer le réchauffement climatique. Et les gens alors « oh bah oui, s’il le faut, oui oui, d’accord »… Mais on aime bien avoir chaud nous ! En hiver c’est quand même plus sympa. Okay, faut aimer passer la nuit avec un moustique toute l’année, mais sinon vraiment c’est cool. Une piscine gonflable dans le jardinet derrière la maison et hop, c’est les Bahamas !
   Et puis quoi : le type — le genre de type qui a dû aller en forêt empêcher la chasse à courre d’avoir court, voyez — un fieffé antispéciste, il vous assène des espèces de sondages comme il vous dirait qu’il veut protéger les espèces protégées, que 47% des français-e-s pensent qu’en effet on mange trop de viande, que c’est moche pour l’environnement, la santé, etc[1]. Et le type continue : Pourquoi ne pas simplement accentuer les efforts de sensibilisation ? Eh oui : c’est bien ça, faut encourager gentiment, ça prendra deux siècles s’il le faut bah tant pis, ça viendra quand ça voudra et puis c’est tout. Eh ben non. Môsieur le juriste intello se paye de prouver par a+b que l’efficacité de la « prise de conscience » a ses limites[2]. Son idée c’est une redite en plus. PETA a déjà essayé en 1999 avec son taxmeat.com mais fort heureusement le lobby de la viande s’en tire très bien et le revendiquait déjà en 2006. Bonne nouvelle pour les contempteurs des animaux[3], qu’il nous dit l’autre en train de pleurer sur quelques milliards de bestioles trucidées. Pfff ! chochotte va ! On t’en ficherait un peu de jugeote sur un sujet tabou[4] !…
   Surtout bonnes gens n’écoutez pas ce provocateur. Lisez-le pour vous faire une idée, achetez son bouquin pour l’offrir autour de vous, qu’on sache pourquoi ce type veut qu’on taxe la barbaque. Le volontariat, la « bonne volonté du consommateur » ça ne lui suffit pas. Il dit que si on aime nos mioches et qu’on se fait du souci pour leur avenir[5] on devrait au moins accepter qu’on nous taxe la tartiflette et le BBQ pour ça. Euh… franchement… qu’est-ce qui va nous rester ? la bière, le pop-corn et les White Stripes ?? tra… la… la… las… Ouais enfin… pffff… c’est rude là. C’était mieux le bébé phoque en couverture des magazines avec B. B. Au moins c’était loin – les bébés phoques. Au moins y’avait encore de la glace pour aller les y bastonner, y jouer son Dupont Lajoie de la fourrure. Alors quoi ? On est des spécistes parce qu’on préfère ne pas voir, ne pas savoir, ne pas s’occuper de ces trucs-là ? L’autre il dit comme ça, l’air de rien : comme si ne pas être acquis à l’antispécisme, en pensée ou en acte, ce n’était pas prendre parti pour l’idéologie adverse, le spécisme[6]. Eh beh mon gars, le spécisme surtout ça n’a pas de nom, c’est quelque chose dont tu hérites, et c’est ça la tradition : perdurer même des conneries du moment qu’on a des bons souvenirs d’enfance et qu’on veut en faire profiter nos marmots, na ! Y’a pas de nom pour ça, parce que nous on n’y pense pas. On veut bien du green washing, de la décroissance pour faire genre, de la déconsommation pour dire qu’on veut des barils de lessive souples, mais oh ! la viande quoi ! Déjà que même en raquant nos impôts, la TVA et tout l’État est en ruine, on va pas nous priver de s’empiffrer de bidoche ?! On croirait entendre un de ces enfoirés d’intellos des années 90 : « […] les menaces qui pèsent sur la biosphère, la poussée démographique mondiale, la division internationale du travail conduiront les options publiques urbaines à penser leurs problèmes particuliers sur fond d’écologie planétaire. » (in Qu’est-ce que l’écosophie ? p.35 — Félix Guattari, Éditions Lignes)
   Vous savez quoi, ces antispécistes c’est rien que des empêcheurs de tourner en rond. Des pervers du ciboulot depuis au moins deux décennies : « […] la radicalité ne prend pas uniquement son sens au regard des fins de l’engagement, en l’occurrence des visées transformatrices bien plus exigeantes que la protection animale classique. La radicalité se mesure tout autant à travers des moyens, que d’autres jugeront « extrêmes » et « excessifs », et qui témoignent d’une certaine appétence pour la transgression de la bienséance ordinaire. » (in S’engager pour les animaux, p.51 — Fabien Carrié & Christophe Traïni, PUF) Faut pas être net pour vouloir à ce point que les gens soient lucides en esprit et se comportent avec droiture. Y’a plus moyen d’être indigne tranquille, d’être sans vergogne en paix.
   Après, paraît-il, on peut être animaliste et bouffer des bêtes. Se soucier de protéger les klebs et dévorer à belles dents Bambi et Panpan. D’accord, la somme des élevages intensifs ça participe à la pollution, au réchauffement climatique et faire du joli bio en plein air ça sera forcément cher et limité, donc pas pour tout le monde, et puis ça n’est pas la réalité mais une autre forme d’utopie, et Chauvet peut clamer : « L’argument animaliste est donc bien recevable, même pour le mangeur de viande que vous êtes, du moment que vous avez de la considération pour les animaux, fût-elle inférieure à celle de l’antispéciste que je suis. » (p.39) D’autre part — mais il va plus nous lâcher ce type avec ses raisonnements raisonnablement raisonnés — la viande n’est pas une « dépense contrainte »[7]. C’est sûr que c’est pas de la charcuterie qu’on met dans le réservoir de nos caisses pour aller bosser ! Il est drôle le type !!! N’empêche, on a un moratoire sur le carbone, et le Macron va pas nous la faire, à nous autres ceux qui trimons à la ligne de prod, on est tout endimanchés de catadioptres dès le samedi maintenant. On veut pas qu’on nous sauve la peau en même temps que la planète. On veut du blé pour s’acheter du sans gluten et partir en vacances manger des animaux exotiques — nous aussi qu’on y a le droit d’abord, comme les riches qui font ce qu’ils veulent, ils ont qu’à la payer la taxe sur la viande eux.
   Bon, David Chauvet et ses copains, c’est bien s’ils sont gentils avec les animaux, et il peut bien penser que […] c’est bien la masse qui réchauffe la planète en mangeant de la viande[8], on voit pas pourquoi, sous couvert d’urgence climatique, de compassion, de tous ces machins-là, on devrait payer une taxe pour nous inciter à ne plus en consommer. Et même s’il ne manque pas de suite dans les idées en disant que les humanistes qui défendent le carnisme font passer les animaux avant les humains mais dans l’assiette[9], faut pas pousser et il nous fera pas croire comme disait l’autre espèce d’écosophe qu’il y a aujourd’hui un problème de responsabilité éthique et pragmatique radical[10]. Requins de véganes, ils en veulent à notre alimentation et à notre pognon.
   […]
   Des fois quand même, on se dit que la viande, elle te tient tu comprends ? Tu te la mets dans ta bouche, tu la mâches, tu la digères, tu la chies — elle t’envahit le corps aussi, elle devient toi, un amas de viande pas encore crevé mais en bon chemin, et t’en redemandes, et tu commandes la mort des bêtes sans même y penser, c’est plus fort que toi — et là Chauvet n’a pas tort et referme la boucle de la plus grande prison de l’humanité carnivore, car la bouffe et, pire encore, la viande, […] c’est elle qui dévore l’humanité[11]. Comme lorsqu’à une formation au boulot, on t’emmène avec les collègues dans une brasserie et que le plat du jour c’est du requin, et que toi tu n’en reviens pas qu’on fasse ça. Et l’autre qu’est végane aussi n’en revient pas. Au moins là on est deux à se regarder, éberlué-e-s. Et les autres ils s’en foutent, c’est ça ou steak tartare. Tu n’en reviendras jamais plus quand bien même on taxe la bêtise humaine et qu’un beau jour on arrête le massacre. Car rien n’aura eu lieu que le lieu du massacre.

 

M.

(Barcode Shark by Banksy)

 

   [1] Selon une enquête du Crédoc, cité p.13 in Taxer la viande (2019).
   [2] Cf. ibid., p.13.
   [3] Ibid., p.14. Et d’ajouter que la France n’est pas en reste dans les encouragements répétés dans l’incitation à manger de la viande. Témoin le couple Sarkozy-Fillon et son insistance à la présence de la viande à tous les repas dans les cantines en 2011. (cf. p.19)
   [4] Ibid., p.15. Et aussi p.71 : « […] si vous aimez vos enfants et petits-enfants, et si vous vous souciez réellement de l’avenir de l’humanité. »
   [5] voir p.24.
   [6] Ibid., p.35.
   [7] Ibid.p .56.
   [8] Ibid., p.85.
   [9] Belle remarque sur ces penseurs carnivores humanistes : « Pour eux, finalement, les animaux passent avant les humains, mais à condition d’être coupés en morceaux, cuits et assaisonnés. » (p.78)
   [10] Félix Guattari, p.96 in Qu’est-ce que l’écosophie ?
   [11] p.94 in Taxer la viande.

7 réflexions sur “ET PUIS QUOI ENCORE, DAVID CHAUVET — « TAXER LA VIANDE » — ? — REQUINS DE VÉGANES !

  1. Mince. c’est vraiment bien écrit. du coup c’est un peu intimidant. on se dit roooh si j’écris un truc tout bancal, il va ma clouer au sol sous une volée de concepts…
    Mais bon, ça a l’air bien ce livre, je vais peut être bien le lire…
    ça tombe bien quand même qu’il existe une industrie de la viande sur pattes, ça donne un solide argument. aux antispécistes, comme aux eleveurs « extensifs » d’ailleurs.
    moi, je crois que je vous aime:)
    je veux dire j’aime vous lire, essayer de suivre votre pensée, et me surprendre à hocher la tête.
    je comprends bien le veganisme comme opposition déterminée a l’élevage.bien sur comme éleveur, je ne peux pas suivre, mais je suis obligé de considérer les arguments, souvent factuels d’ailleurs, et très logiques. même si bien souvent ce que vous nommez l’elevage s’appelle en fait (selon moi) l’agriculture. et ce que vous nommez carnisme s’appelle je crois extractivisme. en tout cas pour ce qui concerne l’impact planetaire…
    je produits des bœufs qui n’ont jamais mangé un gramme de céréales, en plein air intégral, sur prairie permanente. ça ne change pas la destination sanglante, mais utiliser les données de nuisances des feed lots pour disqualifier mon boulot, c’est presque un coup bas. je peux par contre tout entendre sur le fond, hein, mais tout ne peut pas se valoir.
    Tout ton dernier paragraphe, j’aurais aimé savoir l’écrire, je suis devenu paysan pour ça, même si a la place de viande, j’aurai parlé de toute cette bouffe qui n’a jamais baigné que dans la mer de plastique et de profit, que dans la mort. et le coup du requin, magnifique!

    le steak vegan de chez Subway, c’est la même viande que celle dont tu parles.
    je sais que tu sais qu’il y a produire et produire, et je sais que tu connais la permaculture, crois le, c’est exactement ça que je fais, de la permaculture. finalement, avec les végans radicalement fachés par l’abberante machine qu’est l’agriculture, je croyais qu’on pourrais se comprendre.
    du coup je me dis, ils ont l’air tellement chouette, j’aimerais leur dire que grace a eux je mange du tempeh a l’apero, c’est bizarre au début, pis on devient un peu junky non. j’ai mangé quatre fois du tofu cet hiver ( le meilleur c’était le « rosso »). finalement de la viande on en mange pas si souvent, bon j’aimerais qu’on soit copains. mais…

    j’habite un coin qu’on croirait épargné. tous les soirs d’été, dans la cour, il y a des chauves souris. a la tombée du jour un loir fait le funambule sur le fil du téléphone. les gamins font des nasses dans des bouteilles et ramènent des goujons et des écrevisses. il y des oiseaux et autant d’insectes qu’il y a 30 ans. on voit chaque semaine un chevreuil ou un renard, un cerf ou un blaireau. nos 50 chèvres ont des clochettes, on les garde le long des méandres du canal de nantes a brest, aidés de nos chiens. bref, nous sommes fondamentalement spécistes.je n’arrive pas a te l’expliquer autrement. vivre avec les bêtes, vraiment, au milieu, m’a ouvert les yeux sur leur besoins non mécaniques, sur leus désirs, j’oserai même sur leur aspirations. et le respect matiné de mystèrieuse inquiètude qui leur est du. mais cela m’a aussi viscéralement rendu spéciste, au sens strict du terme, non qualitatif…
    du coup , Montaigut et capulet, cet amour est impossible:)

    et quand tu reprends: « comme si ne pas être acquis à l’antispécisme, en pensée ou en acte, ce n’était pas prendre parti pour l’idéologie adverse, le spécisme »
    je te réponds c’est vrai…
    je le suis, spéciste, en pensée et en acte, parce que c’est ce que les bêtes m’ont appris…

    votre fan, plouc

    Ps attention
    je n’ai pas écrit ni pensé que l’antispécisme ne pouvait naître que de la distance avec la réalité des animaux…ni d’ailleurs que leur fréquentation assidue amenait a s’ouvrir a leur fascinante altérité.
    je n’ai parlé que de moi.

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  2. bon.
    j’ai regardé le petit film.
    en effet. il n’y a qu’a arrêter l’élevage. déjà ça peut se faire en claquant des doigts. et puis on pourra garder toutes nos bagnoles nos centrales, nos gratte ciels et porn hub, puisque le ciel en feu c’est la faute des bouseux, et surtout pas la notre. ou peut être que l’élevage s’est fourvoyé dans la même ornière extractiviste que toutes les facettes du kaleidoscope humain. c’est pas les vaches qui font les particules fines, c’est pas les chèvres qui font les déchets nucléaires, les moutons ne forment pas d’enfants soldats au nord kivu pour s’assurer le contrôle des mines esclavagistes de coltan indispensable au I phones des végans et des autres. on abolit l’élevage, ok, je suis pas forcément choqué par cette idée, mais ça suppose de se coltiner à la réalité de la production de nourriture. et cette réalité connaitre aussi des charançons et des doryphores, des sangliers en ballades et des merles gourmands. cette réalité là, pourquoi pas sympathique, sera spéciste, ou ne sera pas.
    sinon on peut peut être apprendre des animaux, et vivre autre chose que le pillage et la loi du plus fort, et reposer les bases d’une coopération inter espèce vers un monde durable, ce que propose, et a connu, l’agriculture paysanne.
    bon, c’est mon avis et pas une déclaration de guerre… et je suis peut être un peu trop fatigué pour trainer sur internet. bonne nuit

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